

Pendant 800 ans, les moines de l’abbaye de Clairvaux ont regardé l’est céleste dans l’église abbatiale pendant leurs prières quotidiennes. Mais l’époque révolutionnaire a changé l’ordre du pays : l’église a été démantelée pour en faire les murs d’une prison et le regard s’est tourné vers l’Orient profane. Depuis ce saccage, l’armée de Napoléon se cherche loin de chez elle, dans un pays froid et inconnu. Gelés, affamés, les officiers et les soldats prisonniers se retrouvent dans la ville de Syktyvkar, dont l’accès avait été longtemps bloqué par l’autel.



La Roche-sur-Yon

Ville de Syktyvkar

Cela fait 212 ans que les soldats de Napoléon, capturés dans les neiges d’un pays étranger, sont rentrés chez eux. Les officiers locaux parlaient français, mais les hommes leur ont appris quelques mots dans la langue hachée, où les sons peuvent être prononcés la bouche fermée, sans dégager de chaleur supplémentaire.


Leurs petits-enfants entendent encore leurs grands-pères vieillissants parler de toutes les bizarreries de la campagne étrangère, mais il ne leur reste plus en mémoire que le touloupe de laine de l’un des soldats, échangé à un paysan avec une pipe de manufacture jurassienne.

Par le plus grand des hasards, deux descendants de soldats de Napoléon occupaient deux maisons à l’entrée de l’ancienne prison de l’abbaye de Clairvaux. Ils ne savaient pas eux-mêmes pourquoi, mais le soir, ils avaient l’habitude de boire du thé et de regarder vers l’est. Apprenant leur prédilection commune, ils construisirent un balcon entre les deux maisons, dont l’interstice pointait vers le côté effrayant et séduisant du monde. Tous les soirs, ils préparaient le thé et s’asseyaient pour attendre inlassablement une arrivée.


63 mètres. Les réfugiés de la côte ouest se déplacent vers le centre, la capitale française s’installe à Grenoble
96 mètres. Les prix de l’immobilier dans les Alpes et les Pyrénées augmentent chaque année, les téléphériques les enchevêtrent, les villages commencent à se transformer en villes

Village russe de Yuryung-Khaya; on y extrayait du sel

Marais salant, à proximité des Sables d’Olonnes

130 mètres. Les monuments du passé sont engloutis les uns après les autres, et ceux qui restent se noient dans les kilomètres de villes nouvelles. Les vieilles bâtisses, rares témoins de la vie passée, sont soumises à une reconstruction presque maniaque

Mon nouveau propriétaire s’avéra être un gardien. Il m’avait vu tressaillir chaque fois qu’il me promenait au soleil. Il connaissait ce sentiment et l’avait éprouvé lui-même, ayant passé sa vie dans sa cabine dont un grand arbre bloquait la fenêtre par tous les temps. Nous étions très actifs, mais avec douceur, calme, et sans se presser : il fallait bien ça à mon grand âge. Nous vivions prêt d’un immense mur, et j’eus bien l’impression que nous étions les seuls qui s’activaient dans la communauté dans laquelle nous nous trouvions. Les autres humains étaient emmitouflés de longues robes, certains étant visiblement encore plus sensibles au soleil que moi restaient la plupart du temps en intérieur, d’autres s’activaient un peu plus.

150 mètres. Les matériaux de construction se font de plus en plus rares, mais les gens ont pris l’habitude d’interagir avec la mer, les murs de sel sont devenus monnaie courante